Sans les outils appropriés et l’entraînement à développer les capacités d’apprentissage des collaborateurs, devenir une organisation apprenante reste souvent un vœux pieu.
Les outils de l’organisation apprenante
Les outils sont souvent vécus comme des contraintes qui freinent la créativité.
Mais l’outil est à la compétence, ce que l’air est à l’aile de l’oiseau. Il ne faut pas voir l’outil dans sa simple fonction de produire un résultat.
L’outil n’est pas seulement intéressant dans la performance qu’il permet d’obtenir. Il est surtout un sas d’apprenance, un espace de développement des capacités d’apprentissage pour les individus. Un espace à partir duquel l’entreprise produit de la connaissance, SA connaissance.
Devenir organisation apprenante, c’est offrir aux individus l’opportunité de produire de la connaissance au lieu d’aller la chercher chez des experts extérieurs.
Une expérience réelle
C’est ainsi que l’opérationnel élabore intuitivement son expérience, jour après jour dans le silence de sa confrontation au réel. C’est notamment dans la façon dont il s’approprie la prescription d’une tache et qu’il la reconstruit pour la réaliser qu’il élabore son expertise.
Cette expérience, au lieu de rester intime et inconsciente, doit s’organiser en apprentissage avec les outils adéquats.
LES PARADOXES DE LA PRESCRIPTION pour une organisation apprenante
La production industrielle s’est développée au travers du modèle taylorien d’organisation scientifique du travail.
Le bureau des méthodes
Chronométreur avec sa planchette à chronométrer munie d’une montre, atelier de taillage, 1952
Le besoin de normalisation des produits et de l’organisation du travail a conduit les entreprises à mettre en place un bureau des méthodes. Il avait pour charge d’élaborer les processus d’exécution du travail. Il devait permettre aux opérateurs peu qualifiés de produire et ce, sans avoir d’expérience professionnelles. C’était une manière de contourner la gestion du facteur humain. Ces processus se traduisaient généralement par une mise en mot de l’enchaînement de gestes et d’activités à accomplir pour réaliser la tache.
Aujourd’hui même si l’ajout de vidéos et de photos viennent illustrer les processus, le fonctionnement n’en demeure pas moins taylorien dans de nombreuses organisations de production.
Le bureau des méthodes décrit une procédure qu’il donne à l’opérateur pour qu’il réalise la tache.
Même s’il le fait à l’aide de l’opérateur, le bureau des Méthodes est le seul légitime.
La différence entre prescrit et réel
Cette question de la prescription depuis toujours se heurte à la réalité de l’action :
Depuis les années 70, on a mis en évidence cette distinction entre prescrit et réel (Leplat 20002).
En effet, quand on observe un opérationnel sur son poste de travail on s’aperçoit qu’il ne respecte pas le processus tel qu’il a été rédigé. Pour qu’un opérationnel exécute correctement une tache dans un contexte particulier, il doit (consciemment ou non, et visiblement non) transformer la prescription.
Comment vs réalité
Pour réaliser la tache qui lui incombe dans la situation réelle de production, il doit faire autrement que ce qu’ordonne le bureau des méthodes. Mais généralement il le fait d’une manière intuitive, en se cachant, avec l’impression de ne pas faire ce qu’on lui demande. Sa part de production de la prescription n’est donc pas visible.
La réponse classique du bureau des méthodes face à ce qu’il considère comme une dérive, est généralement de décomposer de plus en plus finement les taches et de tenter de contrôler l’activité au plus près.
Mais il s’avère que le travail de transformation de la prescription n’est, la plus part du temps pas une dérive ou une transgression, mais une nécessité. C’est là que l’opérateur met en oeuvre son intelligence de la situation et qu’il trouve sa raison d’être.
Yves Clot
Comme l’indique Yves Clot, la souffrance des opérateurs se ramène souvent à un sentiment d’inaccompli, un travail empêché… Une activité qui par son organisation interdit à l’opérateur d’être activement présent dans la réalisation des process de travail qu’il utilise.
Un retour d’expérience de l’organisation apprenante
La question que cela pose est de savoir qui doit être dépositaire du savoir ?
Le système entier doit-il être seul légitime a posséder le savoir et à le légitimer ? J’ai eu l’occasion de superviser des managers de terrain du nucléaire. Ils me faisaient part de leur difficulté à gérer cette façon taylorienne de produire du processus. Chaque incident faisait l’objet d’un Rex (Retour d’Expérience) qui donnait lieu à une fiche technique.
Celle-ci proposait une modification et entrait dans une sorte de bible des processus. Cette collecte institutionnelle des prescriptions d’usage sous forme de prescription de fonctionnement conduisait alors à une inflation d’écrits parfaitement inutilisables.
« Si moi ou mes collaborateurs on doit lire tout ça, on va y passer tout notre temps de travail » me disait-il.
En réalité, une telle perception des REX a sans doute du sens, elle réduit hélas considérablement le bénéfice qu’on peut en attendre.
Résultat
Cette démarche d’accumulation de connaissance est nettement moins efficiente qu’une démarche guidée par l’intention de développer l’attention consciente.
L’influence Japonaise
L’influence de la culture japonaise sur ce type de conception du travail laisse entrevoir que derrière cette approche « outil » on retrouve des principes qui régissent la pratique d’un art martial comme l’aïkido.
Le projet n’est pas d’être « le plus fort à casser des briques », mais de tuer le problème « dans l’œuf ». Un gage d’efficacité dans l’esprit de François Jullien.
. Le projet de l’aïkido n’est pas un projet guerrier, mais un art martial pour éviter le conflit.
Le Lean Management
C’est ce qu’on doit trouver dans un projet lean : faire traiter le problème par ceux qui le vivent et éviter qu’il ne devienne un problème porté par toute l’organisation.
Sortir des démarches irresponsables des personnes désengagées qui, par peur de subir les foudres de leur hiérarchie préfèrent cacher sous le tapis les problèmes et passer discrètement la patate chaude au suivant. Cela conduit immanquablement à transformer une petite erreur en un problème organisationnel coûteux.
Comment devenir une organisation apprenante ?
Il faut entraîner les opérationnels aux gestes de base et à la confrontation non conflictuelle.
En effet, La pratique d’outil comme le TWI est semblable à ce qu’on peut faire sur le Tatami de l’aikido. On travaille chacun des gestes de base (i-kio ni-kio san-kio etc.) avec un objectif : automatiser ces gestes pour qu’il ne soit pas besoin d’en avoir conscience quand dans la réalité de l’instant on a besoin de les utiliser.
Tout cela suppose un management particulier qui, pour rester dans le même esprit, pourrait s’appeler un management wu wei. Tant l’art de la guerre et l’art de commander sont deux manières d’exercer l’art d’être dans une relation interindividuelle d’influence mutuelle, quand il y a des enjeux vitaux et un but à atteindre.
POUR UNE GESTION PARTAGEE DE LA PRESCRIPTION
L’accompagnement des équipes opérationnelles dans la mise en place de démarche d’organisation apprenante, du Lean management ou des démarches AFEST (Action de formation en situation de travail.) se fait souvent à l’aide d’outils comme le TWI.
Cet outil permet de mettre les opérationnels et les équipes dans une démarche de co-construction des process et opérations de travail.
Utilisation du TWI dans une organisation apprenante
Pourquoi les utilise-t-on ?
On les utilise dans différentes circonstances :
- Quand il y a des imprécisions dans la prescription originelle : « des trous dans la raquette ».
- Soit il est nécessaire de former un novice et de l’aider à maîtriser la prescription.
- Soit la rotation du personnel (retraite, turn over…) occasionne une déperdition des savoir-faire, des expertises de l’entreprise et de sa mémoire active.
- Où il y a des dérives dans l’utilisation des machines et cet outil sert à amener les équipes à reconstruire une prescription adaptée.
- Enfin, il sert à améliorer la prescription. Le collectif des opérationnels utilisent cet outil pour construire ensemble une nouvelle prescription de tache et un nouveau process de production plus efficient.
Comment les utilise-t-on ?
On va pour cela modéliser l’excellence de celui qui est le plus efficace, en lui proposant de décrire sa manière de procéder pour la modéliser et la partager.
L’outil permet ainsi de structurer la démarche collective. Le résultat est au bout du compte que le niveau « opérateur » produit sa propre prescription ou transforme la prescription pour l’adapter au réel de l’activité. L’outil TWI permet que s’effectue d’une manière organisée et structurée, ce travail de confrontation de la prescription au réel. Au lieu que cette confrontation se fasse d’une manière intuitive, maladroite et cachée quand elle n’est pas instituée et structurée au travers d’un outil comme le TWI.
Ainsi, on peut voir ces outils comme un moyen de formaliser la distinction entre le prescrit et le réel de l’activité.
Pourquoi opter pour le TWI dans une organisation apprenante ?
Le TWI est un outil qui permet de structurer la confrontation entre la prescription produite par le bureau des méthodes et la re prescription que l’opérateur fait à son profit pour réaliser la tache.
La re-prescription que réalise l’opérateur est généralement issu d’un travail de confrontation qu’il conduit entre la prescription officielle et la réalité de l’environnement de travail. Ainsi cette méthode apparaît comme l’outil de révélation de la re-prescription que souvent, faute d’outil, effectue intuitivement l’opérateur qui réussit.
DEUX PRESCRIPTIONS ?
Au fond le travail réalisé n’est-il pas la plupart du temps le fruit d’une confrontation entre deux prescriptions ?
Implicitement l’utilisation du TWI nous permet de comprendre que, d’une manière générale pour qu’une production puisse exister, il doit y avoir deux prescriptions :
- La prescription de fonctionnement : celle produite par le bureau des méthodes qui règle le fonctionnement général de la machine « quel que soit le produit ou l’environnement de travail ». en quelque sorte une prescription « épistémique ».
- La prescription d’usage : Celle produite par l’exécution qui permet d’opérer dans le contexte précis de la production. Ce contexte souvent différent du contexte de conception de la machine ou du processus peut entraîner des variations assez importantes dans la prescription.
L’interêt du TWI dans une organisation apprenante
L’intérêt du TWI c’est qu’il permet de transférer l’autorité à produire des prescriptions fines et adaptées au contexte, aux opérationnels. Ils ont l’expérience des machines et des process. Ils sont donc légitimes à ce niveau de granularité du processus.
L’utilisation du TWI
L’utilisation du TWI permet de mettre les opérationnels en situation de prendre conscience de ce qui se joue dans cette relation entre le prescrit et le réel. En remplissant ensemble la « Job Instruction », ils peuvent analyser si la prescription a été mal comprise, trop imprécise ou trop théorique. Le travail sur le TWI permet alors l’élaboration d’une prescription adaptée à la situation réelle et adapté au niveau de compétences de chaque personne.
C’est en quelque sorte une manière d’élaborer explicitement la re-prescription que fait intuitivement et inconsciemment, faute d’outil, tout opérateur qui exécute une tâche.
Process de conception et process d’utilisation
Les prescriptions d’usage sont différentes des prescriptions de conception en ce sens que l’usage est déterminé par l’environnement de production. La distinction prescrit / réel s’incarne ici dans la distinction entre process de conception et process d’utilisation. C’est la différence entre « en théorie » et « dans la vraie vie » C’est parce que le process d’utilisation est différent du process de conception que les opérateurs ont l’obligation de reconstruire la prescription pour la rendre opérationnelle.
PENSER SON TRAVAIL UNE COMPETENCE ET UNE ACTIVITE PROFESSIONNELLE
Quand le contexte de production est très proche du contexte de conception de la machine, il y a peu de différence entre la prescription de fonctionnement et la prescription d’usage. L’ajustement se fait de manière intuitive et la « re-prescription » reste « silencieuse » et impensée.
Mais dans le cas de productions diverses et complexes, notamment dans les services R&D et dans les centres de recherche et d’innovation produisant des produits nouveaux ou spécifiques, cette distinction doit être gérée institutionnellement. En ce sens le TWI (voici un article traitant du TWI et de la santé) est un outil qui permet de gérer d’une manière efficace ce passage de la prescription de fonctionnement
à la prescription d’usage. De plus, la pratique du TWI laisse à l’opérateur, seul légitime pour concevoir la prescription d’usage, la possibilité de l’élaborer et donc de se l’approprier.
Ce travail de re prescription devient en soi une activité professionnelle. Elle doit être reconnue en tant que tel avec des compétences identifiées et des temps institutionnels prévus pour ce travail.
Une question de légitimité?
L’existence d’un bureau des méthodes qui « pense le travail », laisse entendre que dans une modalité taylorienne classique, seuls ceux qui pensent le travail peuvent en être dépositaire de la légitimité. C’est à dire qu’ils sont les seuls à en avoir la connaissance et à valider « ce qui est vrai et pas vrai », « juste pas juste », ce qui est une transgression ou ce qui est une innovation. En réalité chaque collaborateur, chaque service de l’entreprise peut et doit documenter ses savoirs expérientiels correspondant à son activité réel. Il doit avoir la légitimité à s’en servir pour réguler son action et prendre ses propres décisions.
A ce titre, un opérateur sur une chaîne de montage dans un usine Toyota a la légitimité à arrêter la production s’il détecte un problème.
L’utilisation du TWI dans la gestion des phases exécutantes
L’utilisation du TWI permet de mettre en évidence et de répondre efficacement à une problématique liée aux pratiques tayloriennes de division scientifique du travail pour lesquelles on élabore des processus hors de la réalité de l’action en laissant l’opérationnel se débrouiller comme il peut pour gérer le paradoxe de la situation.
En effet le choix très « taylorien » de réserver ce droit de transformation de la prescription au bureau des méthodes pose deux problèmes :
- le bureau des méthodes n’est pas légitime pour produire cette prescription d’usage puisqu’il n’a pas l’expérience du contexte.
- le fait de déposséder l’opérateur légitime de cette responsabilité a toutes les chances de le démobiliser.
Au mieux, on peut penser qu’il intégrera un peu cette represcription pour laquelle il n’a pas été reconnu légitime propriétaire, au pire il sabotera la production. Seul moyen à sa disposition pour revendiquer la légitimité à produire de la prescription d’usage.
Ainsi, on peut comprendre que s’il y a des « non-qualité », ce n’est pas parce que l’opérateur n’applique pas la prescription.
C’est le plus souvent parce qu’il n’a pas la possibilité institutionnelle de questionner la prescription de fonctionnement et de reconstruire et formaliser la prescription d’usage, dans la confrontation avec la machine, le contexte de travail et ses pairs.
LE PRESCRIPTEUR ACCOMPAGNANT
Si l’on admet cette distinction entre prescription de fonctionnement et prescription d’usage, alors on peut comprendre que le travail des prescripteurs va au delà de l’élaboration des process de production.
Dans un tel processus, la fonction du prescripteur n’est pas de réaliser à la place de l’opérationnel la prescription d’usage, mais d’assister l’opérationnel (ou les équipes) dans la co-construction de cette re-prescription.
Ainsi, dans une démarche d’organisation apprenante ou une démarche Lean, les prescripteurs de l’activité doivent développer des compétences d’accompagnement et de formalisation de l’activité conduite par les opérationnels.
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